Face au péril
Cette pratique qui sera remise au goût du jour dans neuf (09) petits mois ramène au bon souvenir du programme « pétrole contre nourriture » en vigueur en Irak de 1996 à 2003. Sur le tard, un scandale mondial mettant à nue la corruption des élites onusiennes et occidentales.
Dans son mode opératoire, elle consiste à octroyer de bonnes notes aux candidats aux épreuves physiques, orales et écrites du CEPE, du BEPC et du Baccalauréat moyennant des sommes d’argent dont le montant varie de 2000 F CFA à 5 000 F CFA, voire plus.
Enseignants, élèves et parents – en parfaite collusion – ont ainsi trouvé le filon pour atteindre leurs buts sans coup férir. Arrondir la fin des trois mois de vacances scolaires pour les uns. Se réjouir d’avoir décrocher le parchemin convoité par des voies que reprouve la morale pour les autres…
Comble de l’amoralité, il se trouve des parents pour célébrer avec faste le succès immérité de leurs progénitures dans ces circonstances.
Cette privatisation officieuse de l’éducation nationale apparait comme une déclinaison d’un phénomène endémique et systémique de désétatisation du service public. Un regrettable état de fait normalisé dans l’imaginaire collectif. Pour lequel, les Ivoiriens ont développé une accoutumance.
Nul ne s’offusque guère plus de ce que bien que gratuits, des actes administratifs et du quotidien fassent l’objet de marchandage. Même aux guichets des compagnies de transport, il faut user de ses relations !
Pour emprunter le mot à Ladjagaï, parlant de Becker, personnages de la bande dessinée animée éponyme sur les réseaux sociaux : les Ivoiriens ont monétisé leur cerveau, vendu leurs âmes à Mammon, le dieu de l’argent !
En première ligne, les intellectuels qui n’existent plus que de nom dans une société en déperdition tel un navire ivre.
Certains, pourfendeurs acerbes et virulents des hommes politiques au cours de leur traversée du désert, laudateurs zélés de la 25ème heure, une fois ces derniers parvenus au pouvoir.
Le reniement des convictions semble être inscrit dans l’ADN de ce peuple. Une seule constance cependant : la foi en l’argent demeure intacte. Tous les moyens sont bons pour en obtenir. Quitte à revendiquer la profession de « géreuse de bizi ». Après tout, c’est l’ensemble du corps social qui flirte avec ou se vautre d’une manière ou d’une autre, dans la prostitution.
Sur l’échelle des valeurs morales, l’éthique combien de divisions ?
On enseigne à nos enfants, petits-enfants à ne pas voler, ni mentir. Le spectacle qui se déroule tranche pourtant avec les préceptes moraux édictés. Petits arrangements avec la vérité, vol, duplicité, falsification de l’histoire, pillage des deniers publics, interprétation tendancieuse de la loi fondamentale constituent l’identité remarquable d’un mode de vie décadent. Faut-il s’en étonner lorsque plus personne ne respecte le feu rouge dans la circulation et que la peur du gendarme a quasiment disparu ?
L’avenir par reproduction sociale s’annonce radieux.
Vénalité ! C’est le maitre-mot qui dépeint le mieux nos interactions sociales. L’humain n’a de valeur que son pouvoir économique et financier, son statut social. « Dis-moi qui es-tu, je saurai quel traitement te réserver ! ». La sentence est implacable.
En dépit du déni et des démentis officiels auxquels plus personne ne croit vraiment, pas besoin d’apporter la preuve du contraire. Du bas au sommet de la pyramide sociale, seul et dans l’intimité de sa conscience, chacun sait qu’il n’est pas aussi saint qu’il le prétend.
Dressant le diagnostic de la situation, Alassane Ouattara, candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2010 écrivait dans son projet de société « Vivre ensemble », pages 3 et 10 : « Le gaspillage, la corruption, les malversations et la dépravation des mœurs se sont généralisés (…) Nous mènerons une lutte drastique contre la corruption ».
Quatorze (14) ans plus tard les maux dénoncés ont pris une cure de jouvence. Trafic d’influence à visage découvert, faveurs sexuelles exigées, recommandations aux concours d’accès à la fonction publique, communautarisme, népotisme sont venus à bout d’une volonté certaine de faire le ménage des déviantes inclinaisons…
La liste des leviers et des raccourcis au service de nos intérêts personnels est devenue aussi longue que le chapelet d’un pèlerin en quête d’indulgence ou l’ordonnance médicale prescrite en cardiologie.
A Abidjan, on a coutume de dire trivialement « poussin qui va devenir coq quand on voit on sait ». Pareil pour un pays en passe d’obtenir le statut d’Etat failli ou en échec. Sur cette voie, les signes s’amoncellent, les indices se multiplient. En attendant d’y parvenir, il ne serait pas hâtif de constater que pour l’heure, la faillite morale est effective.
Média d’investigation résolument engagé dans la promotion de la bonne gouvernance, le respect des droits humains, la défense de l’Etat de droit et des valeurs démocratiques, www.letau.net ne voudrait pas naïvement se bercer d’illusion. User sa plume dans la dénonciation parvient rarement à bout des pesanteurs au changement. Surtout sous nos tropiques.
Sans dédouaner les gouvernants qui se sont succédé à la tête de ce pays de leur responsabilité, force est de reconnaitre que le délitement qui s’accentue ne déplait pas forcément à tout le monde. Les maux énoncés, on ne s’en plaint uniquement que lorsqu’ils surviennent en notre défaveur. Au sein d’une société perméable aux faveurs, privilèges et avantages indus et moralement dysfonctionnelle, il ne faut pas s’attendre à ce que les têtes d’huile fassent preuve d’exemplarité et de probité, à toute épreuve. Les chiens ne font pas des chats !
L’inclination à la culture de la facilité, la célébration des contre-modèles, l’admiration et la reconnaissance portées aux donneurs de leçons et moralisateurs en rupture de ban avec leurs propres principes, éclairent à suffisance l’obscurité de notre déviance à ériger des stèles à la médiocrité.
Au risque de susciter de féroces et suicidaires inimités dans ce pays qui occupait en 2023, le 36ème rang sur l’Index des Etats fragiles du Fonds pour la paix, un groupe de réflexion basé aux Etats-Unis, pour les animateurs de ce site d’investigation ne prévaudra que la satisfaction d’œuvrer à une prise de conscience face au péril.