La valse des migrants économiques
173 ex-militants du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci-rda), du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (Ppa-ci), du Front populaire ivoirien (Fpi) de l’ex-La Majorité présidentielle (Lmp) reçus en grande pompe au siège du Rassemblement des houphouetistes pour la démocratie et la paix (Rhdp), le 25 novembre 2024.
Des appels de pied incessants émanant des responsables de premier rang du parti au pouvoir en direction de Tidiane Thiam, le président du parti septuagénaire qu’ils rêvent de voir revêtir leur tunique. L’analogie avec la méthode Florentino Perez pour attirer au Réal de Madrid Killian Mbappé est saisissante.
Dans le sens inverse, Pascal Affi N’Guessan qui dénonce « l’accord de partenariat » liant son parti au régime depuis mai 2023 et tente de se rabibocher avec Laurent Gbagbo après une longue période de brouille. Les ralliements soudains au Pdci-rda de plusieurs cadres du Rhdp à l’image du député Dominique Zégoua, du Dr Lorougnon Horé ou encore de Gilbert Francis Kacou, Maire élu de Hiré, dans le département de Divo sous la bannière Rhdp.
Allégeances
A une année de la présidentielle d’octobre 2025, le mercato politique est officiellement ouvert. Il bat d’ailleurs son plein ces dernières semaines. Chaque état-major à coup d’espèces sonnantes et trébuchantes, de révélations tonitruantes de secrets d’Etat, n’est-ce pas Cissé Bacongo, d’arguments massues et de promesses mirobolantes, déploie des trésors d’énergie et d’ingéniosité pour obtenir l’allégeance des acteurs politiques majeurs ou mineurs. Peu importe la qualité. Il faut faire le plein de recrues, pour ne pas être accusé d’incapacité à remplir les gradins des stades dont la pelouse va bientôt souffrir.
L’objectif est clair. Se construire une majorité vaille que vaille. A coup de boites de sardines au besoin. Chacun à son prix !
Au soir du 31 octobre ou bien plus tard, lorsque la très contestée Commission électorale indépendante se décidera à gratifier de son art, l’opinion publique nationale et internationale, ce déploiement d’énergie vaudra son pesant d’or.
Criquets pèlerins
Nomadisme, transhumance ou temps du reniement, cette période qui voit des hommes et des femmes cracher dans la soupe, jeter le bébé avec l’eau du bain, retourner leurs vestes, renier librement ou sous la contrainte des convictions intimes, présente des similitudes avec le phénomène migratoire des criquets pèlerins. Ces insectes redoutés des agriculteurs qui, lorsque se raréfient les sources de nourritures dans leur environnement d’origine forment des essaims pour migrer vers des zones plus propices à leur épanouissement.
Migrants économiques
C’est sans doute dans cette leçon des choses issue de l’observation de la nature que s’originent les premières migrations économiques de l’espèce humaine amplifiées par la traite négrière, la conquête de territoires nouveaux, la soumission et l’anéantissement de peuples et de cultures. Sans oublier la colonisation. Comme le dit l’Ecclésiaste, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Ceux qui érigent aujourd’hui des murs contre ces millions de personnes obligées de braver frontières et océans au péril de leur vie, à la recherche de meilleures opportunités, ont été eux-aussi dans un passé fut-il désormais lointain, dans la posture de migrants économiques. Voilà pour la parenthèse.
Conjonction de facteurs
Pour en revenir à nos maux et tons, force est de faire constater qu’à l’origine des migrations plus socio-économiques que politiques (!) au pays des Eléphants, préside une conjonction de facteurs. Pêle-mêle peuvent être pointés du doigt : – L’absence d’idéologies politiques claires : les partis politiques sont plus perçus comme des plateformes de pouvoir et de distribution de subsides et divers autres avantages que des structures idéologiques. Le clivage droite / gauche est aussi vide de sens que les idéologies revendiquées. Pourquoi Affi N’guessan, prétendu socialiste a-t-il établi un partenariat avec un parti d’inspiration libérale ? Pourquoi, aujourd’hui, le Pdci-Rda de Tidiane Thiam et le PPA-CI de l’intrépide Gbagbo se draguent-ils mutuellement ?
– La recherche d’opportunités personnelles : en zouglou, on affirme qu’on travaille pour payer mouton. Pas pour devenir mouton. Cette maxime populaire suffit à comprendre les ressorts à la base des déplacements saisonniers sur l’échiquier politique. La recherche de la pitance quotidienne. Le pragmatisme et l’opportunisme servent de ressorts aux choix politiques. Ils sont nombreux, les ex-soutiens de Laurent Gbagbo qui désormais ne jurent que par Ouattara 3. Leur allégeance est tributaire de la météo politique. Ceux de la génération 90 ont certainement encore dans un coin de la mémoire cette formule pour se mettre à la disposition du Sphinx de Daoukro à l’époque : « Bédié am bi kô ». Traduction littérale du Malinké : « Bédié nous te soutenons ». Au banquet de la République, seuls changent, souvent et pas toujours, les convives autour de la table…
Les tensions internes, les frustrations, l’absence de démocratie interne au sein des appareils politiques complètent le tableau des justificatifs du pèlerinage politique. Les conflits de leadership, la marginalisation de certains cadres aboutissent soit à des actes de rébellion (Ndlr : Jean-Louis Billon au Pdci-rda), soit à des départs sous d’autres horizons où les frustrés espèrent voir reconnus et valorisés leurs talents lorsqu’ils ne projettent pas, munis d’un agenda caché de faire le jeu de l’adversaire.
Se rajoute l’adaptation de l’intelligence économique à la sphère politique avec l’exemple de l’ex-ministre des Affaires étrangères de Alassane Ouattara, Marcel Amon Tanoh (novembre 2016–mars 2020). En mission d’infiltration au sein de l’éphémère Conseil national de transition, en prélude à ce que certains observateurs ont vite fait de qualifier de simulacre d’élection en octobre 2020, il fera plus tard son repenti avant d’atterrir au moribond Conseil de l’Entente… Au terme d’une cure de silence à laquelle il s’est astreint, l’homme refait surface. Dans une récente interview, il révélait son intention d’apporter son soutien à Ouattara puissance 4. Consulter https://www.jeuneafrique.com/1620784/politique/marcel-amon-tanoh-je-veux-jouer-un-role-actif-dans-la-campagne-presidentielle/
De quoi à y perdre son nouchi.
Refus de progrès
Le parti au pouvoir, outre la forte pression-attraction qu’il exerce sur les acteurs politique de premier plan dans un régime hyper-présidentialiste n’est pas innocent à ce remue-ménage symptomatique à bien des égards, de la faiblesse des institutions qui se trouve renforcée par l’absence de sanctions.
30 ans après l’instauration du multipartisme, laisser prospérer ce phénomène et s’enorgueillir est révélateur d’une profonde inculture politique.