Non-redevabilité et opacité en partage
« Explorer les défis à l’application des recommandations et des décisions de la Cour des Comptes ». Le thème de la 3ème édition de la conférence annuelle de redevabilité, organisée mi-novembre 2024, à l’initiative de Civis-Côte d’Ivoire, une organisation d’éducation citoyenne a eu le mérite de lever le voile sur cette entente illicite des partis politiques. Sur le dos du contribuable. C’est l’un des rares points de convergence parallèle qui les unit.
Fondement juridique
Depuis 2004, conformément la loi n° 2004-494 du 10 septembre 2004 portant financement sur fonds publics des partis et groupements politiques et des candidats à l’élection présidentielle, groupements et partis politiques ivoiriens, ces animateurs de premier plan de la vie politique reçoivent pour les besoins de la cause, un financement. Une excellente chose en soi pour la consolidation de la démocratie. Au terme de l’article 2 de cette loi, le montant de la subvention allouée aux partis et groupements politiques est fixé chaque année par la loi de finances. Il équivaut à 1/1000ème du budget de l’État.
Critères d’octroi
Deux critères cumulatifs entrent en ligne de compte dans l’octroi de ce financement. « Le nombre de suffrages exprimés en faveur de ces partis et groupements politiques à l’occasion des élections législatives et le nombre de sièges obtenus par ceux-ci à l’Assemblée nationale. »
L’éligibilité à ce financement unanimement apprécié par les bénéficiaires, bien que jugé insuffisant, est conditionnée par l’obtention de au moins 10% des suffrages aux législatives. Dernière disposition et non des moindres, le décaissement est assujetti, chaque année au dépôt d’un rapport public à la Cour des comptes. Le législateur a tout prévu !
Des milliards repartis
Malheureusement, tout cela relève de la théorie. C’était certainement pour l’objectif des caméras. Dans les faits, le financement est plus ou moins régulier. Depuis 2016, sa régularité ne souffre d’aucune contestation. En 2021, les partis et groupements politiques de toutes obédiences ont reçu 4,4 milliards de FCFA. 4,379 milliards en 2022. Impossible de déterminer qui a reçu combien. L’opacité n’est pas faite pour déplaire. L’argent n’aime pas le bruit.
Le robinet continue de couler
Autre écueil à souligner, c’est que depuis que les formations politiques sont ainsi à la fête – depuis 20 ans – ils se sont affranchi de l’obligation de rendre compte de l’argent mis à leur disposition. Aucun rapport à la cour des comptes. Et puis ça ne va pas quelque part, comme on le dit trivialement à Abidjan.
Mieux, pour récompenser leur attitude, le robinet continue de couler !
La Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance, à force de pondre des communiqués invitant les concernés à publier leurs rapports en 2016, 2017, 2018, qui restaient dans le vent, préfère désormais s’abstenir ! Préférant traquer les mouches que les tigres.
Justificatif de l’illégalité
« La loi n° 2004-494 du 10 septembre 2004 prévoit en son article 23 la création d’une Commission avec pour mandat de définir les modalités concernant la détermination du montant du financement des candidats à l’élection présidentielle, la budgétisation, la répartition et le versement aux bénéficiaires des financements prévus aux articles 2 et 9 (Partis politiques et Groupements politiques, candidats à l’élection présidentielle). Malheureusement, cette Commission n’a toujours pas été créée ; pourtant, l’on assiste à des financements de partis et de candidats à l’élection présidentielle. L’on pourrait se demander : Quel est l’organe qui détermine l’enveloppe du financement et la clé de répartition entre les différents bénéficiaires ? », avançait en guise de justificatif à la posture de non-droit dans laquelle pouvoir et opposition prospèrent le Dr. Arsène Néné Bi dans une étude sur le financement public des partis politiques en Côte d’Ivoire, financée par la fondation Friedrich-Ebert-Stiftung.
On a mis la charrue avant les bœufs !
Crédibilité
Cette illégalité admise et tolérée, interroge la crédibilité des acteurs politiques dans leur rhétorique sur la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption. Elle questionne la solidité de nos institutions.
Faut-il croire aux déclarations de bonnes intentions des politiques sur la bonne gouvernance et la dénonciation de la prévarication des ressources publiques ? Par quelle alchimie, quelle opération du Saint Esprit, ces champions de la non-redevabilité et de l’opacité, incapables de fidélité en peu de choses (1/1000ème du budget) se transforment-ils subitement en poche de probité une fois aux affaires ?